Dans le monde de la psychanalyse, il a bouleversé les codes
"Je suis comme la goutte qui file entre les doigts pour s'en aller rejoindre la source...", écrit-il de lui. Né en 1948, juif d'Egypte, il aurait dû s'appeler Yom Tov, mais les circonstances historiques et politiques de la vie lui ont enlevé ce droit. On le nomma officiellement Eïd, sur le papier, mais tout le monde l'appelait Tobie. "J'ai toujours été étrange à moi-même", dit-il !
C'est peut-être ce parcours, les aléas de sa vie, les rencontres, les souvenirs de son univers cosmopolite de l'enfance qui ont fait de lui le tenant de l'ethniopsychiatrie, en France et ailleurs, cette science qui tient compte de l'origine cuturelle et religieuse pour soigner les patients. Tobie Nathan est un homme que l'on aime ou que l'on déteste, il ne laisse personne indifférent. Dans le monde de la psychanalyse, il a bouleversé les codes, s'est élevé contre des principes établis et les méthodes en cours ; il a inventé des outils et une autre façon d'apporter la psychanalyse la plus avancée aux personnes les plus démunies, aux migrants, tout en s'enrichissant de leurs savoirs et de leurs pratiques.
Une tentative de comprendre au plus près les dynamiques qui font passer, en quelques semaines ou quelques mois, de l’ignorance d’un délinquant de cité fumeur de shit à l’expertise d’un philosophe des hadiths; de la naïveté d’une gamine, coquette des beaux quartiers, à cette voilée belliqueuse en quête d’un mari à kalach; de l’innocence d’un jeune lycéen studieux à l’engagement d’un djihadiste en route pour les zones de combat en Syrie.
En septembre 2014, l’État français confie à Tobie Nathan le suivi d’une cinquantaine de jeunes gens en voie de radicalisation. Un an et demi plus tard, il rend un rapport, mais veut poursuivre la réflexion. Un livre est nécessaire. Trop de clichés sont colportés, trop d’idéologies brandies, trop de fausses réponses apportées. Qu’on pense à l’échec des centres dits de "déradicalisation". Ou au célèbre "Expliquer, c’est déjà excuser" de Manuel Valls.
Les Âmes errantes
Quarante ans passés auprès des migrants, trois ans de consultations avec les jeunes radicalisés. Peu d’intellectuels ont pu les approcher aussi intimement. Dans Les Âmes errantes (essai paru en 2017 aux éditions L’Iconoclaste), il en dresse des portraits ciselés, touchants, empathiques. Tobie Nathan a mis à profit l’expérience d’une vie pour sonder ces âmes errantes et baliser pour elles un "éventuel chemin de retour". Plus encore, il les approche "en frère". Lui, le Juif, le migrant, l’enfant des cités, le révolté de Mai 68, se retrouve dans cette jeunesse d’aujourd’hui, engagée, combative, sûre de ses idéaux et de sa place dans l’Histoire. Jeu de miroirs entre radicaux d’hier et d’aujourd’hui : "Je leur ressemble", dit-il.
L’histoire des radicalisations n’est pas celle des natures. Elle est faite de métamorphoses, de moments d’immobilité interdite et d’ivresses soudaines à l’idée des lendemains. Et plus on côtoie ces jeunes gens, plus on soupçonne l’existence de véritables dynamiques mythologiques, comme si les dieux continuaient à travailler les humains à leur insu, poursuivant dans l’ombre une guerre sans fin.
>> Téléchargez le dépliant "Conférence de Tobie Nathan – Lausanne 2019" (pdf)